suppression de la notion de capital dans les SRL introduite par le nouveau Code des sociétés et des associations (ci-après, « CSA ») a eu pour effet de mettre un terme au lien traditionnel qui existait entre la valeur des apports et les droits (patrimoniaux et de vote) attachés aux actions. Souhaitant assurer plus de flexibilité en cette matière et faciliter la création de sociétés en prenant désormais en compte les nouvelles aspirations des investisseurs et les différents types d’apports possibles (tels les apports en industrie), le législateur a supprimé le principe qu’une action donne toujours droit à une seule voix. Désormais, cette règle, qui, bien évidemment, subsiste toujours, n’est plus que supplétive (art.  5:42 CSA) et les statuts peuvent librement y déroger.

Cette dérogation peut intervenir au stade de la création de la SRL ou lors d’une modification des statuts. Les droits attachés aux actions deviennent à présent librement négociables. Un droit de vote multiple ou, à l’inverse, aucun droit de vote peut aussi être attaché à certaines actions. Ce droit de vote multiple peut même être limité à certaines opérations ciblées ou certaines questions sensibles. Une liberté contractuelle très grande est donc instaurée. Seule limite évidente : la société doit émettre au moins une action et celle-ci doit être assortie d’un droit de vote (art. 5:40 CSA), ce qui est logique, puisque, sans cette règle, aucune société ne peut exister, en l’absence de fonctionnement d’une assemblée générale.

En matière de liquidation de société ou de distribution de dividendes, il sera désormais possible de prévoir une répartition plus favorable au profit de certains actionnaires et rompre dès lors avec le principe de la répartition égalitaire. Cette distinction entre droits conférés selon les actions s’accompagne en général de la création de classes d’actions (art.  5:48 CSA). À l’exception du cas des sociétés cotées, les actions qui donnent droit à un double vote nécessiteront obligatoirement la création de classes d’actions différentes.

La disparition du principe de proportionnalité entre la valeur des apports et les droits liés aux actions peut générer une certaine insécurité dans le chef de tout nouveau souscripteur qui devra désormais faire preuve d’une certaine prudence.

On parle même dans ce contexte du principe de « l’acheteur vigilant » (cavaet empto). Divers conseils peuvent dès lors être suggérés pour éviter toute mauvaise surprise. D’une part, le souscripteur sera bien inspiré de consulter avec attention les statuts de la société qui doivent indiquer si la société applique ou non le régime supplétif. Le registre des actionnaires est par ailleurs d’une importance capitale, puisqu’y figurent le nombre exact de classes d’actions et les droits y afférents. En examinant ce registre, le nouveau souscripteur pourra se faire une opinion sur l’opportunité ou non de faire apport.

Lors de l’émission d’actions nouvelles, il est également utile pour les actionnaires déjà présents de consulter le rapport spécial de l’organe d’administration qui expose les conséquences de l’opération sur les droits patrimoniaux et sociaux des actionnaires (art.  5:121 CSA). Ce rapport fait, en outre, l’objet d’un contrôle par le commissaire s’il y en a un.

Cette dissociation nouvelle entre apports, droits de vote et droits patrimoniaux peut aussi poser quelque interrogation en matière fiscale. En effet, dès lors qu’il est possible de conférer des avantages patrimoniaux différents selon les classes d’actions, on est en droit de se demander si les règles relatives à la taxation des avantages anormaux ou bénévoles (art.  26 CIR  92) ne risquent pas de s’appliquer. Une dissociation de droits est de nature à faire naître des avantages différents qui peuvent donner lieu à discussion. L’administration fiscale pourrait être amenée à qualifier des droits patrimoniaux plus importants accordés à certains actionnaires d’avantages anormaux ou bénévoles taxables dans le chef de la société qui les a consentis. Cette taxation peut, en effet, survenir lorsque les associés sont des sociétés qui se trouvent dans un lien d’interdépendance.

Cette question n’a pas été traitée par la loi du 17 mars 2019 adaptant en matière fiscale les dispositions du CSA. Elle est toutefois un nid à contentieux fiscaux.

En conclusion, le principe selon lequel la proportionnalité entre apports, droits de vote et droits patrimoniaux n’est plus qu’une règle supplétive présente des avantages et crée des opportunités, mais il produit en même temps un risque de confusion et d’inégalité.

S’il faut saluer cette flexibilité maximale qui est de nature à répondre aux nouvelles attentes des investisseurs et qui est sans conteste l’une des concrétisations majeures d’un droit des sociétés plus moderne, celle-ci peut compliquer davantage le travail de tout souscripteur nouveau qui devra veiller à être bien informé sur les conséquences en termes de droits patrimoniaux ou droits de vote liés à l’apport qu’il envisage de faire.

En pratique, il est vraisemblable que la très grande majorité des SRL opteront, par facilité, pour l’adoption du régime supplétif qui assure des droits identiques à chaque action nouvelle émise. Comme en matière fiscale, le choix de la simplicité en droit des sociétés est parfois la meilleure des stratégies.