Cher Monsieur XXX ,

Je fais suite à votre courriel du 15 mai 2020 et ne puis souscrire à votre argumentation pour les raisons exposées ci-après.

1.-

Dans votre réponse vous invoquez, en substance , qu’un nouveau moyen de droit ou  changement de jurisprudence ne constitue pas un élément  nouveau, ce qui résulte effectivement de l’article 376 du CIR1992 .

Une circulaire administrative de 2001 aurait énoncé que seul un arrêt d’une Cour constitutionnelle en réponse à une question préjudicielle puisse être considéré comme un fait nouveau.

Le jugement du 31 janvier 2019 de Gand que vous citez constitue selon vous un simple changement de jurisprudence.

Vous citez ensuite  diverses décisions de justice mais il est à noter  qu’aucune  ne porte le question de la constitutionalité   d’une disposition  fiscale et de ce fait elles ne sont pas pertinentes.

2.-

En  limitant  la notion de fait nouveau aux seules prises de position rendues par une Cour Constitutionnelle (outre les autres cas prévus par l’article376 du CIr1992) , vous donnez de manière injustifiée une portée restrictive à cette notion,  non voulue par le législateur et non-conforme au droit constitutionnel.

Cette position  résulte d’une analyse  plus que contestable  exprimée dans cette circulaire du 15 mai 2018 qui n’ a évidemment pas force de loi .

J’entends d’emblée rappeler que la déclaration du Ministre des Finances, Monsieur Van Overtveldt dans les médias (De Tijd, 7 mars 2018) visait à supprimer définitivement la discrimination (« En conséquence, les dirigeants doivent être imposés sur un avantage réaliste plutôt que sur un avantage généralement trop élevé« ).

Plus fondamentalement, les arrêts des Cours d’appel de Gand des 24 mai 2016 et 20 février 2018 et d’Anvers du 24 janvier 2017  se sont toutes les deux prononcés sur la validité d’un Arrêté Royal et il en découle que le test du principe constitutionnel d’égalité n’est pas de la compétence de la Cour constitutionnelle mais est laissé aux cours et tribunaux eux-mêmes sur la base de l’article 159 de la Constitution.

L’article 159 de la Constitution énonce que « les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu’autant qu’ils seront conformes aux lois ».

Cet article donne aux juridictions contentieuses le pouvoir et l’obligation d’écarter des litiges qui leurs sont soumis les actes administratifs irréguliers.

L’article 159 de la Constitution est essentiellement, comme le souligne le Conseil d’Etat (C.E., Harlez, n° 215.678 du 10 octobre 2011),  destiné à permettre aux administrés de lutter contre l’arbitraire administratif : Considérant (…) que l’article 159 de la Constitution dispose que les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu’autant qu’ils seront conformes aux lois; que cette disposition ne précise pas la durée d’application de la prescription qu’elle édicte.

Nous sommes bien en l’occurrence  en présence d’un arrêté royal (AR/CIR 1992, article 18  qui fixe le montant des avantages de toute nature logement) et non en présence d’une loi. Il s’ensuit que les cours et tribunaux sont parfaitement habilités à refuser la validité ou l’inconstitutionnalité de cet acte réglementaire.

Il est donc totalement inexact de prétendre qu’il faille attendre un arrêt de la Cour  Constitutionnelle, celle-ci étant chargée de se prononcer sur le principe de constitutionnalité des seules lois,  décrets et ordonnances..

Le site de la Cour constitutionnelle expose ces règles  (reprises   d’ailleurs à l’artice142 de la Cour Constitutionnelle) :

La Cour constitutionnelle est habilitée à contrôler les normes ayant force de loi. Par normes ayant force de loi on entend les dispositions aussi bien matérielles que formelles adoptées par le parlement fédéral (lois) et par les parlements des communautés et des régions (décrets et ordonnances). Toutes les autres normes, telles que les arrêtés royaux, arrêtés des gouvernements des communautés et des régions, arrêtés ministériels, règlements et arrêtés des provinces et des communes, ainsi que les décisions judiciaires, ne relèvent pas de la compétence de la Cour.

Difficile d’être plus explicite. Puisque seules les cours et tribunaux sont habilités à se prononcer sur le volet constitutionnel d’un arrêté royal, toute décision rendue par ces instances ne peut que qualifier de faits nouveaux ouvrant le délai des demandes  de dégrevement d’office  au sens de l’article 376 du CIR 1992.

3-

C’est d’ailleurs en ce sens, et appliquant ces principes,  que le tribunal de première instance de Flandre orientale, division Gand, a décidé dans un jugement  récent du 31 janvier 2019 (Rôle : 17/3178/A) que l’arrêt du 24 mai 2016 de la Cour d’appel de Gand (en ce qui concerne l’aspect de l’inconstitutionnalité) peut à juste titre être considéré comme un « fait nouveau » qui ne pouvait pas être invoqué dans le délai normal de réclamation devant l’administration fiscale.

Le tribunal a estimé  en effet qu’il convient de reconnaitre qu’il y a un fait nouveau lorsque des dispositions légales sont déclarées inconstitutionnelles. Selon le tribunal, ce fait nouveau n’est pas « un nouveau moyen de droit ou une modification de la jurisprudence » et ne peut être assimilé à une modification de la jurisprudence (ordinaire). D’autant plus qu’une disposition légale déclarée inconstitutionnelle ne peut être appliquée et doit donc être modifiée.

4.-

Nous considérons dès lors que la notion de changement  de jurisprudence que vous invoquez dans votre réponse ne vise absolument pas l’hypothèse qui est celle qui nous concerne.

Nous ne sommes nullement en présence d’une application ou d’une interprétation nouvelle d’une norme fiscale par un juge mais bien d’une déclaration d’inconstitutionnalité d’un article d’un arrêté  royal  et d’un refus de l’appliquer (ce qui équivaut à reconnaitre qu’il doit être considéré comme n’ayant jamais existé),  ce qui est totalement différent

J’ai par ailleurs une toute autre lecture de Circulaire n° Ci.RH.862/536.019 du 4 mai 2001 dont vous considérez qu’elle n’admet la possibilité de reconnaitre un fait nouveau qu’aux seuls arrêts de la Cour Constitutionnelle (Cour d’arbitrage à l’époque de la circulaire).

Je reprends le point essentiel de  de cette Circulaire  :

«  Toutefois, l’administration estime que, dans ce cas, les dispositions de l’article 376, § 1er, CIR 92 sont applicables et que l’arrêt de la Cour d’arbitrage qui annule pour inconstitutionnalité la disposition sur laquelle s’appuie la taxation, constitue un fait nouveau probant au sens dudit article. A cet égard, il convient de souligner qu’un tel arrêt d’annulation ne peut être considéré comme un changement de jurisprudence au sens de l’article 376, § 2, CIR 92, la Cour d’arbitrage statuant sur la validité d’une norme légale au regard de la Constitution et non sur un application ou son interprétation. »

Si la  circulaire en question considère qu’un arrêté de la Cour Constitutionnel puisse être de nature à qualifier d’élément nouveau, elle n’indique nulle part, comme vous le supputez, , que seul un arrêt de la Cour Constitutionnelle soit un fait nouveau et ne qualifie pas de changement de jurisprudence. Il n’y a d’ailleurs aucune raison en effet de limiter cette exception aux seuls arrêts de cette Cour puisque, comme indiqué,  elle s’envisage pour toute autre cour ou tout tribunal compétent pour  se prononcer sur une annulation d’une disposition fiscale.

Il n’ y a donc pas lieu de donner une quelconque interprétation restrictive à cette circulaire.

5.-

J’espère vous avoir convaincu de la pertinence de mes arguments et du droit qui m’est reconnu d’introduire une demande dégrèvement d’office sur base de ce qui constitue clairement un fait nouveau.

Par ailleurs, dans la mesure où il est plus que probable qu’un tribunal confirmerait ces principes, et à l’instar du tribunal de première instance de Gand de janvier 2019 , me donnerait gain de cause, tant l’administration ne dispose pas d’arguments juridiques valables pour contester l’existence du caractère inconstitutionnel du calcul de l’avantage de toute nature fixé par arrête royal   et de ce fait l’existence d’un fait nouveau, puis-je  vous suggérer de ne pas poursuivre de manière inutile dans votre volonté à de maintenir cette taxation injustifiée ?

Puis-je vous suggérer de traiter ce dossier selon votre  propre analyse, sans que je n’aie à recevoir une « décision directoriale-type » qui semble être adresser ces temps-ci à tous contribuables concernés par ce même problème ?

Il serait vraiment regrettable que l’administration s’acharne dans une croisade dont elle sait qu’elle sera perdue, et ce pour des motifs, avouons-le d’ordre essentiellement  budgétaire.

Par ailleurs, il me serait préjudiciable  d’avoir à assumer des frais de justice qui pourraient être épargnés si votre administration acceptait de se plier aux principes de droit applicables en cette matière.

Je vous remercie de votre compréhension et espère une réponse favorable de votre part.