Selon l’administration fiscale, de nombreuses ASBL exercent des activités qui en font des entités très comparables à des entreprises commerciales. Elle en déduit que ces ASBL doivent être imposées au même titre que les sociétés commerciales, et dans certains cas elle exige même que leur forme juridique soit requalifiée.
Le fisc, de plus en plus actif dans ce type de redressement fiscaux, considère que beaucoup d’ASBL ont opté pour cette forme associative pour des raisons incorrectes, alors que leur activité fonctionne comme celle d’une entreprise normale.
Contrairement à une société commerciale qui est taxée sur tous ses revenus, l’ASBL l’est seulement sur certains revenus (revenus mobiliers ou immobiliers essentiellement), ce qui lui confère un régime fiscal préférentiel.
On constate dans les faits que les ASBL « fictives » opèrent surtout dans le secteur culturel ou sportif.
Selon Le Ministre des Finances, plus de 10% des ASBL seraient fictives
Le fisc considère aussi qu’une ASBL qui ne vise qu’à satisfaire les besoins personnels des membres ou des dirigeants exploite en réalité une entreprise et s’occupe d’opération à caractère lucratif.
En plus de ces cas de redressements fiscaux traditionnels, on observe aujourd’hui que le nouveau paysage juridique qui définit les ASBL (et surtout le nouveau Code des sociétés et des association) a pour effet que de nombreuses ASBL pourront se voir dorénavant assujetties à l’impôt des sociétés, ce qui nécessite d’étudier les modalités et conditions de ce passage.
Cette présente contribution est donc consacrée d’une part aux critères appliques par l’administration et la jurisprudence pour requalifier les « fausses ASBL », et d’autre part aux conséquences fiscales résultant des changements récents du droit des ASBL.
Dans ces deux hypothèses, le passage de l’impôt des personnes morale à l’impôt des sociétés est une question épineuse.
A. LES PRINCIPES D’ASSUJETISSEMENT A L’IMPOT DES PERSONNES MORALES
1. Assiette de l’impôt des A.S.B.L. – Les A.S.B.L. sont, en principe, soumises à l’impôt des personnes morales sur pied de l’article 220, 3° du C.I.R. Les revenus des A.S.B.L. qui sont taxables à l’impôt des personnes morales sont énumérés limitativement par la loi. Il s’ensuit que tout revenu qui n’est pas mentionné par les articles 221 à 233 du C.I.R. échappe à l’impôt. En pratique, l’impôt des personnes morales est déterminé en appliquant à chaque type de revenu un taux fixe. Ce taux ne varie pas en fonction de l’importance des revenus ou de l’existence éventuelle d’autres revenus imposables. L’article 225 du C.I.R. définit les différents taux applicables, c’est-à-dire le mode de calcul de l’impôt.
2. A.S.B.L. et activité lucrative accessoire ou isolée. – À côté de son activité principale, une A.S.B.L. peut cependant être amenée à exercer une ou plusieurs activités complémentaires à caractère commercial. Se verra-t-elle soumise pour autant à l’impôt des sociétés ?
En réalité, une activité lucrative exercée par une A.S.B.L. ne fait pas obstacle à son assujettissement à l’impôt des personnes morales dans quatre cas[1]:
1. il s’agit tout d’abord des opérations isolées ou exceptionnelles : par exemple le bal, la tombola ou la fancy fair organisés par l’école ou l’association caritative, la braderie annuelle ou la compétition sportive : de telles opérations sont certes lucratives mais elles sont si exceptionnelles qu’elles en perdent ce caractère ;
2. il s’agit ensuite des opérations de placement mobilier et immobilier visant à mettre en valeur le patrimoine de l’A.S.B.L. : le législateur considère ici qu’il est légitime que l’A.S.B.L. tente de préserver et de faire fructifier son patrimoine privé, comme le ferait tout bon père de famille : ainsi la location de biens immobiliers dans le cadre de l’activité sociale tombe sous le champ d’application de cette définition [2];
3. viennent ensuite les opérations qui constituent une activité ne comportant qu’accessoirement des opérations industrielles, commerciales ou agricoles ou ne mettant pas en œuvre des méthodes industrielles ou pour faire connaître les objectifs de l’association).
4. enfin, certaines activités ou opérations présentant à titre accessoire ou principal un caractère lucratif échappent à l’impôt des sociétés car elles se situent dans les secteurs privilégiés énoncés à l’article 181 du C.I.R. Il s’agit de domaines d’activité qui sont considérés comme présentant un intérêt pour la collectivité. On y trouve les associations professionnelles, les secrétariats sociaux, les écoles, les associations qui ont pour objet d’organiser des foires ou expositions, les ateliers protégés, les services d’aides aux familles et aux personnes âgées[3], et les associations qui exercent exclusivement une activité de certification au sens de la loi du 15 juillet 1998 relative à la certification des titres émis par des sociétés commerciales.
3. Opérations ne mettant pas en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales. – Pour éviter tout risque d’assujettissement à l’impôt des sociétés, l’administrateur d’une ASBL sera bien inspiré de consulter le commentaire administratif de l’article 182 du CIR qui nous éclaire sur les opérations qui sont exclues de l’impôt des sociétés et celles soit sont susceptibles de donner lieu à une taxation à l’impôt des sociétés.
L’article 182, alinéa 2, 3°, in fine CIR 92 précise que les opérations ne mettant pas en œuvre de méthodes industrielles ou commerciales ne sont pas considérées comme des opérations de caractère lucratif lorsqu’elles sont réalisées par une personne morale sans but lucratif. Cette disposition permet donc à la personne morale qui effectue de telles opérations de bénéficier du régime avantageux de l’IPM.
Il n’y a aucune exigence quant à la place qu’occupent ces opérations sans méthodes industrielles ou commerciales. Elles peuvent soit constituer l’activité principale de la personne morale, soit l’activité accessoire.
Il suffit que l’activité de la personne morale sans but lucratif soit dépourvue de méthodes industrielles ou commerciales pour bénéficier de l’IPM.
Par méthodes industrielles ou commerciales, il faut entendre celles qui, dans un secteur déterminé, sont habituellement utilisées par les entreprises industrielles ou commerciales de ce secteur.
Il y a naturellement lieu d’apprécier si, compte tenu des éléments de fait propres à chaque cas, une ASBL ou une autre personne morale ne poursuivant pas un but lucratif applique ces méthodes industrielles ou commerciales[4].
Le Commentaire administratif fournit un certain nombre d’exemples de critères qui permettent de vérifier si des méthodes industrielles ou commerciales sont utilisées. Comme le précise le commentaire administratif, ces critères doivent s’apprécier dans leur ensemble et non pas isolément et d’autre part il faut prendre en compte l’ensemble des activités de la personne morale[5].
Les critères sont la façon dont la publicité est faite, les méthodes de vente et de distribution, la nature des revenus obtenus, la nature de la clientèle, le personnel occupé et la façon dont les opérations sont financées.
4. Opérations qui constituent une activité ne comportant qu’accessoirement des opérations industrielles, commerciales ou agricoles.- Pour apprécier le caractère accessoire des opérations lucratives, deux critères peuvent être utilisés :
- Le critère de corrélation est valable dans le cas où l’activité accessoire est un corollaire nécessaire de l’activité principale désintéressée, c’est-à-dire quand cette dernière est rendue impossible sans l’exercice de l’activité en question. Celle-ci découle alors simplement de l’activité désintéressée en ce sens qu’elle ne s’exerce que conjointement avec cette dernière, c’est-à-dire en même temps et au même endroit[6].
- Les critères quantitatifs se réfèrent à des données chiffrables afin de comparer l’activité lucrative accessoire avec l’activité principale. Il s’agit par exemple du nombre de personnes occupées ou encore de l’importance des moyens matériels mis en œuvre[7].
Concernant le nombre de personnes occupées, la comparaison s’établit entre le nombre de personnes œuvrant pour l’activité désintéressée et le nombre de personnes réalisant les opérations lucratives accessoires. Pour ce faire, seuls les membres actifs ainsi que le personnel occupé doivent être pris en compte. Cependant, il ne faut pas faire rentrer dans la comparaison les personnes prises en charge par la personne morale dans le cadre d’une thérapie[8].
En ce qui concerne les moyens mis en œuvre, une comparaison axée sur l’importance des moyens mis en œuvre pour la réalisation des activités principales et accessoires est également possible. Il s’agit de comparer les moyens matériels mis en œuvre pour l’activité désintéressée avec ceux utilisés pour la réalisation des opérations lucratives[9].
B. LA REQUALIFICATION DES ASBL A L’IMPOT DES SOCIETES
4. A.S.B.L. et fisc • En pratique, lorsque l’administration peut apporter la preuve que, malgré la conformité des statuts de l’association à la loi de 1921, l’A.S.B.L. recherche dans les faits l’enrichissement patrimonial de ses membres, elle ne se privera pas de la soumettre à l’impôt des sociétés.
Un indice de caractère lucratif peut parfois être décelé dans la clause statutaire d’une association stipulant « qu’en cas de dissolution, la totalité de l’actif net sera répartie entre ses membres ». Par conséquent, une certaine prudence s’impose lors de la rédaction des statuts de l’A.S.B.L.
D’après l’Administration, une ASBL peut être soumise à l’impôt des sociétés si elle vise à procurer un « gain matériel » à l’un ou plusieurs de ses membres (Q. parl., n° 374 du 1er avril 1996, CANON, Bull. Contr., n° 763).
Lorsqu’une ASBL exerce une activité lucrative elle est requalifiée en société commerciale.
5. Jurisprudence
Les décisions judiciaires portant sur l’assujettissement à l’impôt des sociétés d’ASBL sont très nombreuses. Nous n’en épinglerons que quelques-unes.
a. –Ainsi en est-il de cette ASBL qui organise chaque année un festival de musique de 40.000 personnes, ce qui est sa seule activité.[10] Selon ses statuts, la requérante a comme objet la promotion de la vie socioculturelle de la localité où ce festival est organisé. Selon le tribunal, l’activité de la requérante, consistant en l’organisation d’un festival de musique, doit être considérée comme une activité de nature lucrative puisque cette organisation entraîne une activité étalée sur plusieurs mois, parce qu’il est fait appel à des organisations commerciales pour la plupart des éléments du festival et que la requérante réalise des bénéfices par l’exploitation commerciale du festival et par les prix d’entrée élevés.
Le juge ajoute que malgré le fait que ce festival de musique ne soit organisé qu’une seule fois par an, cet événement annuel exige une aussi importante organisation qui se prépare sur plusieurs mois et qui entraîne une activité sur plusieurs mois par an de sorte qu’il ne s’agit pas d’opérations isolées ou exceptionnelles (article 182, 1°, du CIR). Ladite activité de la requérante ne consiste nullement dans le placement des fonds récoltés dans l’exercice de sa mission statutaire (article 182.3°, du CIR).
Le juge examine aussi si l’activité précitée de la requérante avait ou non un caractère accessoire et était ou non directement subordonnée à ses objectifs non lucratifs tels que décrits dans ses statuts, à savoir la promotion de la vie socioculturelle de la localité (article 182, 3°, du CIR). L’exploitation commerciale du festival constitue sans aucun doute l’activité principale de la requérante. Il ne ressort d’aucun élément objectif que la promotion de la vie socioculturelle de la localité était l’activité principale de la requérante.
Il est donc incontestable que l’exploitation commerciale du festival n’est ni accessoire ni directement subordonnée par rapport à ses objectifs non lucratifs, à savoir la promotion de la vie socioculturelle de la localité.
L’organisation d’un festival de musique ne pouvant d’aucune manière être considérée comme une foire commerciale ou une exposition au sens de l’article 181, 5°, du CIR, l’ASBL se voit dès lors soumise à l’impôt des sociétés.
b.- Dans cette affaire soumise à la Cour d’appel de Liège [11], une ASBL qui exploite une maison de repos introduit chaque année une déclaration à l’impôt des personnes morales.
Selon le fisc, l’ASBL est imposable à l’impôt des sociétés compte tenu de la nature de ses activités.
En première instance, le tribunal donne raison à l’ASBL.
Le fisc ne démontre pas que l’ASBL se consacre principalement à des activités pour lesquelles des profits sont recherchés.
La maison de repos applique, selon le tribunal, des tarifs journaliers normaux et tient compte des normes sociales pour l’acceptation des résidents.
La cour d’appel de Liège est toutefois d’avis que le fisc a taxé à juste titre l’ASBL à l’impôt des sociétés.
Selon le juge, le fait que les prix journaliers qui ont été facturés aux résidents « soient raisonnables » n’est pas un argument relevant.
La cour souligne que les prix pratiqués par la maison de repos ne diffèrent pas de ceux des autres maisons de repos.
L’ASBL utilise indéniablement des « méthodes de gestion rationnelles » qui doivent améliorer la rentabilité : il ressort du PV du conseil d’administration que les membres/administrateurs tentent d’obtenir une optimalisation des revenus et ont accordé une attention particulière à la maîtrise des frais généraux
L’ASBL a embauché plusieurs membres des familles des administrateurs qui sont mieux rémunérés que les autres employés.
c.- La Cour d’appel de Gand (arrêt du 8 décembre 2015)[12] a aussi choisi de soumettre à l’impôt des sociétés une ASBL dont l’objet social est pourtant de gérer un centre de séjour pour jeunes.
Les éléments retenus pour cette requalification sont les suivants.
La Cour constate que l’ASBL gère ses activités comme une entreprise animée par un souci de rentabilité, notamment en poursuivant l’objectif principal d’augmenter les nuitées et de diminuer ses coûts en recourant à des méthodes professionnelles.
Bien qu’apparemment axée sur le soutien aux jeunes, l’ASBL a des modalités d’hébergements (chambres très sobrement aménagées, politique tarifaire très faible, bar sobrement décoré) qui ne visent en réalité qu’à se positionner sur un marché bien ciblé, à savoir celui des personnes moins aisées.
Un autre élément observé par la Cour d’appel de Gand est que le nombre de personnes chargées de la réalisation d’un centre pour jeunes est très faible par rapport au personnel chargé de l’exploitation d’un hôtel.
Le rapport d’activités annuel atteste que les formations socio-culturelles des jeunes ne sont pas détaillées, contrairement aux activités de l’hôtel. Il s’ensuit que selon la Cour les activités non lucratives ne sont pas quantifiables.
L’ASBL est, de plus, dans l’incapacité de fournir un tableau comparatif des moyens engagés pour chacune des deux activités (hôtel et centre de jeunes).
L’hôtel de l’ASBL est situé dans un environnement commercial, fait d’ailleurs concurrence à deux établissements voisins et ressemble à un établissement Horeca ordinaire.
Aucun des clients accueillis ne se voit exigé la production d’une carte de membre. Des cartes de réduction sont même proposées, renforçant l’impression d’un déploiement de méthodes commerciales.
Parmi les produits servis, on trouve une grande diversité de bières, y compris une bière artisanale « maison ».
On trouve en outre les cordonnées de l’ASBL sur plusieurs sites de réservations bien connus. Enfin, on trouve un panneau publicitaire dans la gare.
C’est donc à bon droit que l’administration fiscale a soumis à l’I. Soc l’ASBL, conclut le juge.
d. La question de l’attribution de gains matériels aux membre, critère de nature à permettre la requalification de l’ASBL à l’impôt des sociétés a été étudiée par le tribunal de première instance de Namur (jugement du 23.03.2011) [13]
Dans ce dossier, l’objet d’une ASBL crée par une artiste et son époux était la réalisation, la production et la diffusion de toute œuvre artistique ou culturelle.
Les revenus de l’ASBL étaient formés par les performances de l’artiste, les recettes de la vente de disques et de CD, et des revenus pour une présence à des campagnes publicitaires ;
L’ASBL occupe l’artiste en tant qu’employée et versait en outre au couple un loyer mensuel pour l’utilisation de leur habitation privée, dont ils sont propriétaires.
Selon le fisc, l’ASBL ne peut être assujettie à l’impôt des personnes morales mais doit être soumise à l’impôt des sociétés pour les motifs suivants :
- L’ASBL est totalement contrôlée par l’artiste et son époux ; ils sont les seuls membres effectifs et actifs de l’ASBL et constituent le conseil d’administration de cette association dont le siège social est en outre établi à leur adresse privée ;
- Les recettes de l’ASBL proviennent exclusivement des prestations de l’artiste ;
- La plupart des documents produits durant le contrôle concernent la carrière de l’artiste ;
- L’ASBL ne peut produire aucun élément ou document susceptible d’établir qu’elle poursuit un but « désintéressé » ;
Le contrôleur estime en effet que les recettes de ces activités ont exclusivement profité à ses membres (par le paiement d’un salaire à l’artiste et de loyers à son couple).
L’ASBL introduit une réclamation à l’encontre de cette cotisation qui est rejetée par le directeur régional confirme le point de vue du service de taxation.
Le Tribunal, saisi par l’ASBL, va confirmer le point de vue de l’Administration.
Le Tribunal balaie toutefois l’argument d’une rémunération de salarié comme indice de requalification. Créer une ASBL pour percevoir un salaire n’a rien de critiquable et il est légitime de tirer profit du régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs salariés.
Ce qui en revanche a permis la disqualification de l’ASBL est que celle-ci fut constituée dans le seul but de percevoir des recettes de l’artiste et ces recettes n’ont été utilisées que pour lui
Le juge rappelle qu’une association sans but lucratif est celle qui ne se livre pas à des opérations industrielles ou commerciales, et qui ne cherche pas à procurer à ses membres un gain matériel »
Il est donc patent selon le tribunal que l’ASBL a exercé une activité lucrative via le commerce rentable de l’un de ses membres et dont les bénéfices profitent à ses membres.
Il en résulte que l’ASBL doit se voir soumise à l’impôt des sociétés.
Le juge ne peut admettre que l’une des membres de l’association perçoive (avec son époux) la plupart des revenus de l’association, ce qui est contraire à l’article 1er de la loi sur les ASBL.
e.- Il faut ajouter que lorsqu’une ASBL se voit assujettie par le fisc à l’impôt des sociétés par le fisc, ce sont toutes les règles de l’impôt qui lui sont applicables.
Et cela peut donner lieu à des conséquences fort désagréables.
Ainsi, comme l’a confirmé la cour d’appel de Mons[14], une ASBL peut se voir appliquer la règle relative à la requalification des intérêts en dividendes. Cette règle prévoit que lorsque le total des avances consenties à l’entité dépasse le capital libéré, les intérêts de ces avances sont considérés sur le plan fiscal comme des dividendes. Pour la jurisprudence, la fait qu’il n’existe existe pas en tant que tel de capital pour une ASBL importe peu puisqu’il suffit de se référer à la rubrique du passif de l’ASBL. Une telle requalification peut de surcroît avoir pour effet de faire perdre à l’ASBL l’avantage du taux réduit à l’impôt des sociétés.
C. LA VAGUE DE REFORMES DU DROIT DES ASBL EN 2018 et 2018 ET SES INCIDENCES FISCALES
À la suite de la modification du droit de l’insolvabilité, du droit l’entreprise et l’introduction du nouveau Code des sociétés et des associations, le droit des ASBL a subi une transformation radicale. Une mutation en trois temps.
La loi sur le droit de l’entreprise (loi du 15 avril 2018 portant réforme du droit des entreprises) et deux décrets d’application, publiés au Moniteur belge le 27 avril 2018) modifient le Livre XX sur de nombreux points
On notera essentiellement le fait que le terme « droit commercial » fait place au terme « droit de l’entreprise ». Les règles plus flexibles du droit commercial relatives à la preuve s’appliqueront désormais à toutes les entreprises, indépendamment du fait qu’il s’agisse de sociétés, d’ASBL ou de professions libérales.
En ce qui concerne le domaine de l’insolvabilité, le livre XX du Code de droit économique permet que depuis le 1er mai 2018 les ASBL fassent l’objet d’une réorganisation judiciaire et faire faillite. Il s’agit de la première étape de la réforme du droit économique. Quelques exceptions notables applicables aux ASBL demeurent : la réforme a pour effet que les règles du Code des sociétés relatives à l’action en comblement de passif sont désormais intégrées dans le droit de l’insolvabilité. En vertu de ces dispositions, les administrateurs ou les gérants peuvent pour rappel être déclarés personnellement obligés, avec ou sans solidarité, des dettes de l’entreprise à concurrence de l’insuffisance d’actif s’il est établi qu’ils ont commis une faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite. Mais cette action en comblement de passif n’est toutefois pas applicable aux ASBL ou les fondations (de même d’ailleurs que pour les petites entreprises).
La deuxième étape est la réforme du droit de l’entreprise entrée en vigueur le 1er novembre 2018. Dans un souci de transparence et de cohérence, divers volets du droit commercial sont intégrés dans le Code du droit économique. Ainsi les expressions tels que « commerçant » et « actes de commerce » devenus obsolètes disparaissent. De même, le terme « droit commercial » fait place au terme « droit de l’entreprise ». Des règles plus flexibles du droit commercial relatives à la preuve s’appliqueront désormais à toutes les entreprises, indépendamment du fait qu’il s’agisse de sociétés, d’ASBL ou de professions libérales. De plus, le tribunal de l’entreprise – l’ancien tribunal de commerce – est devenu compétent pour tous les litiges concernant les entreprises. Il s’ensuit que les organisations à but non lucratif et les professions libérales deviennent aussi des entreprises et le tribunal de l’entreprise devient compétent pour les litiges entre ASBL.
Enfin, troisième et dernière étape, le nouveau Code des sociétés et associations et contenant diverses dispositions constitue la dernière étape du processus de réforme du droit des sociétés. Le Moniteur belge du 4 avril 2019 publie la loi du 23 mars 2019 « introduisant le Code des sociétés et des associations […] » (ci-après : le CSA). LE CSA est entré en vigueur le 1er mai 2019.
Les modifications touchant les ASBL sont fondamentales et concernent la constitution, la vie et la dissolution des ASBL.
Avant le CSA, une ASBL ne pouvait pas prétendre à une activité commerciale à titre principal pour poursuivre un but de lucre. Elle pouvait cependant réaliser quelques opérations commerciales à titre secondaire. Avec la réforme du code des sociétés et associations, cette notion de profit va complètement disparaître pour donner lieu à la notion de résultat désintéressé. Les ASBL n’ont d’autres interdiction que de se voir interdire formellement de distribuer les bénéfices engrangés lors de leur activité. Les résultats acquis par l’ASBL doivent impérativement être conservés par l’association pour assurer son fonctionnement. Concrètement les ASBL sont désormais autorisées à accomplir n’importe quelle activité, et donc également des activités à but lucratif puisqu’il n’y a plus de limitation d’activité pour les ASBL. La distinction entre ASBL et sociétés n’est plus non plus établie sur la base du but lucratif. L’ASBL se distingue parce qu’elle ne peut affecter son produit qu’à son but désintéressé (Art. 1:2 du CSA). Une ASBL ne peut donc pas distribuer de bénéfices, ni directement ni indirectement, sauf si c’est nécessaire à la réalisation de son but désintéressé (art. 1:2, 1:4 et 9:4, 5°, du CSA). Toute opération violant cette interdiction est nulle (art. 1:2 du CSA). Cela peut en outre conduire à la dissolution de l’ASBL. (art. 2:113 du CSA)
Par ailleurs, outre la possibilité de faire des apports à titre gratuit d’universalité ou de branche d’activité, les ASBL peuvent à présent pourront désormais également faire usage d’une réglementation en matière de fusions et de scissions, qui tient compte de la spécificité de la société (voir livre 13 – Restructuration d’associations et fondations ; Titre 1er. – La réglementation des fusions et scissions. CSA). Une ASBL peut aussi se transformer en AISBL, et une AISBL en ASBL (art. 14:46 à 14:50 du CSA) ou se transformer en une société coopérative agréée comme entreprise sociale (art. 14:37 à 14:45 du CSA)
Pour garantir que les associations aient la possibilité de s’adapter à ces réformes, une longue période de transition est prévue. Sur la base de la planification actuelle, ce nouveau code entrerait en vigueur le 1er janvier 2020 au plus tard pour les ASBL. Leurs statuts devront être mis en conformité avec les dispositions du code le 1er janvier 2024 au plus tard.
Ces bouleversements du paysage juridique des ASBL n’ont toutefois que peu d’incidence sur la question de savoir si une ASBL peut rester soumise à l’impôt des personnes morales ou doit être soumise à l’impôt des sociétés. L’ASBL reste soumise à l’impôt des personnes morales tant que les activités économiques qu’elle produit conservent un caractère accessoire. Si en revanche, on observe un caractère prépondérant de ces activités économiques, elles subiront le régime fiscal des sociétés. En ce sens les règles et exceptions prévues aux articles 181 et 182 du CIR sont inchangées.
Le fait pour une ASBL d’être soumise à l’impôt des personnes morales ou à l’impôt des sociétés reste donc toujours une question de fait.
Une ASBL qui choisit d’exercer des activités économiques dans le cadre de la nouvelle législation sera bien entendu soumise à l’impôt des sociétés.
D. LA LOI DU 17 mars 2019 ORGANISANT LE PASSAGE DE L’ASSUJETTISSEMENT A L’IMPOT DES PERSONNES MORALES A L’ASSUJETTISSEMENT A L’IMPOT DES SOCIETES
Du fait de cette situation quelque peu dichotomique entre les dispositions du CSA permettant une activité lucrative et les principes fiscaux qui restent d’application, il s’est avéré nécessaire de déterminer, en cas de transformation d’une ASBL en société (à finalité sociale) ou en cas d’activité économique prépondérante d’une ASBL, un cadre fiscal stable où des règles générales claires sont définies régissant le passage de l’assujettissement à l’impôt des personnes morales à l’ assujettissement à l’impôt des sociétés.(Doc. parl., Chambre, 2018-2019, n° 54-3368/001).
L’Exposé des Motifs de la loi précise à cet égard que « s’il est vrai que, même en l’absence de mesure législative organisant le passage en société, la possibilité existe de requalifier la nature de l’activité d’une entité assujettie à l’impôt des personnes morales afin de assujettir à l’impôt des sociétés en vertu du droit interne, le gouvernement estime qu’il est quand même plus prudent de fixer préalablement les conditions de ce passage dans la loi afin d’assurer davantage de sécurité juridique. « .
On regrettera que ce projet de loi appréhende le passage du régime de l’impôt des personnes morales au régime de l’impôt des sociétés, mais ignore l’opération en sens inverse.
Le nouveau régime devrait être applicable à partir de l’exercice d’imposition se rattachant à une période imposable qui débute au plus tôt le 1er janvier 2019
Le projet de loi crée un article 184 quinquies du CIR qui prévoit 8 modifications :
- Règles relatives au capital : la partie du capital (ou des primes d’émission ou sommes souscrites à l’occasion de l’émission de parts bénéficiaires), qui a réellement été libérée au cours des exercices comptables clôturés avant l’exercice comptable se rattachant au premier exercice d’imposition pour lequel la personne morale est assujettie à l’impôt des sociétés, est considérée comme du capital libéré au sens de l’article 184 aux conditions prévues par les alinéas 1ers à 3 dudit article.
En clair, la partie du capital, des primes d’émission et des parts bénéficiaires qui a été réellement libérée antérieurement est toujours prise en compte comme capital libéré au sens de l’article 184, CIR 1992 (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, n° 54-3368/001, p. 6, al. 2).
Dans le cas, prévu par le CSA, d’une transformation d’une ASBL en société à finalité sociale, le projet de loi précise que l’article 184 ter du CIR reste d’application. Cela signifie que tous les apports réellement libérés antérieurement ne sont en effet pas pris en compte comme capital libéré, mais bien comme réserve exonérée sous les conditions visées à l’article 190, CIR (condition d’intangibilité). Cette règle est parfaitement en phase avec les dispositions des articles 14:42 et 14:43 du CSA qui énoncent que l’actif net de l’ASBL au moment de la transformation en société agréée comme entreprise sociale doit être versé à une réserve indisponible et ne peut faire l’objet, sous quelque forme que ce soit, d’un remboursement aux actionnaires ou d’une distribution.
De plus, comme le souligne l’Exposé des Motifs, on ne perdra pas de vue que seule la partie du capital, des primes d’émission ou des parts bénéficiaires qui n’ont fait l’objet d’aucun remboursement ou réduction, est prise en compte et que pour l’application de cette disposition aux associations, fondations et autres organismes dotés de la personnalité juridique qui ne connaissent pas de notion de capital, les apports en espèces ou en nature réellement libérés seront prise en considération. (Ibidem, p. 6, al. 4).
- Réserves et provisions
Les bénéfices antérieurement réservés, incorporés ou non au capital, et les provisions pour risques et charges qui sont comptabilisés par la personne morale dans les comptes annuels afférents à l’exercice comptable clôturé avant l’exercice comptable se rattachant au premier exercice d’imposition pour lequel la personne morale est assujettie à l’impôt des sociétés, sont considérés comme des réserves déjà taxées.
Cette disposition précise simplement que toutes les réserves antérieures seront d’office considérées comme des réserves taxées.
- Plus-values de réévaluation et subsides en capital
Les plus-values de réévaluation et les subsides en capital ne sont et ne restent exonérées que si les conditions prévues à l’article 190, alinéa 2, CIR 92, sont remplies.
Précisément, les plus-values de réévaluation et les subsides en capital comptabilisés par la personne morale dans les comptes annuels afférents à l’exercice comptable clôturé avant l’exercice comptable se rattachant au premier exercice d’imposition pour lequel la personne morale est assujettie à l’impôt des sociétés, ne sont exonérés que s’ils restent portés dans un ou plusieurs comptes distincts du passif et ne peuvent servir de base pour des rémunérations ou attributions quelconques
- Frais professionnels couverts par une provision antérieure
Les frais qui sont réellement supportés par la personne morale au cours d’un exercice d’imposition qui prend cours à partir du premier jour de l’exercice d’imposition pour lequel la personne morale est assujettie à l’impôt des sociétés et qui ont fait l’objet d’une provision pour risques et charges au sens de la loi comptable constituée au cours d’un exercice d’imposition pour lequel la personne morale était soumise à l’impôt des personnes morales, sont déductibles au titre de frais professionnels pour l’exercice d’imposition au cours duquel ils ont été réellement supportés », pour autant que les conditions de l’article 49, CIR 1992 soient remplies.
Il convient donc que les frais qui ont précédemment fait l’objet d’une provision pour risques et charges puissent être déductibles au titre de frais professionnels aux conditions visées à l’article 49, CIR (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, n° 54-3368/001, p. 7, al. 2).
Les pertes définitives sur des actifs, qui sont réalisées par la personne morale au sens de l’article 49, [CIR 1992] au cours d’un exercice d’imposition pour lequel la personne morale est assujettie à l’impôt des sociétés et qui ont fait l’objet d’une réduction de valeur comptabilisée au cours d’un exercice d’imposition pour lequel la personne morale était soumise à l’impôt des personnes morales, sont déductibles au titre de frais professionnels pour l’exercice d’imposition au cours duquel elles ont été réalisées » (art. 184quinquies, al. 1, 5°, CIR 1992 en projet).
Selon l’exposé des motifs, il faut comprendre cette règle de la même manière que la règle pour les provisions pour risques et charges énoncées ci avant (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, n° 54-3368/001, p. 7, al. 3).
Par actifs, il faut inclure non seulement les créances pour lesquelles des réductions de valeur au sens de l’article 48, CIR 1992 ont été comptabilisées antérieurement mais aussi tous les actifs pour lesquels des moins-values sont subies, alors que des réductions de valeur avaient été comptabilisées antérieurement.
- Amortissements, moins-values et plus-values
Les amortissements, moins-values ou plus-values à prendre en considération dans le chef de la personne morale sur ses actifs sont déterminés comme si la personne morale avait toujours été assujettie à l’impôt des sociétés.
Il n’y a donc pas lieu de recommencer les amortissements sur base d’une valeur réelle lors de la transformation
Les moins-values qui se sont formées durant la période où l’on était assujetti à l’impôt des personnes morales ne permettront pas, dans le même esprit, une nouvelle réduction de valeur déductible au moment de cette transformation.
S’agissant des plus-values, Stefaan Van Crombrugge estime que « les choses sont un peu plus délicates. Ici, il nous semble justifié que l’on se base sur la valeur réelle au moment du passage. La plus-value qui s’est formée alors que l’on était assujetti à l’impôt des personnes morales ne pourrait pas être taxée à l’impôt des sociétés »[15]
- Pertes antérieures
Les pertes subies antérieurement par la personne morale, qui sont comptabilisées dans les comptes annuels afférents à l’exercice comptable clôturé avant l’exercice comptable se rattachant au premier exercice d’imposition pour lequel la personne morale est assujettie à l’impôt des sociétés ne peuvent pas être prises en compte pour déterminer la base imposable des exercices d’imposition pour lesquels la personne morale est assujettie à l’impôt des sociétés
- Réserves occultes
Lorsque l’examen de la comptabilité d’une période imposable pour laquelle la personne morale est assujettie à l’impôt des sociétés fait apparaître des sous-estimations d’éléments de l’actif ou des surestimations d’éléments du passif visées à l’article 24, al. 1er, 4°, [CIR 1992,] celles-ci ne sont pas, par dérogation à l’article 361, [CIR 1992,] considérées comme des bénéfices de cette période imposable, à condition que la personne morale apporte la preuve qu’elles trouvent leur origine au cours d’une période imposable pour laquelle elle était assujettie à l’impôt des personnes morales.
Les réserves occultes qui sont nées avant la transformation d’une ASBL en
société ne peuvent dès lors être taxées après celle-ci
[1] Articles 181 et 182 du C.I.R.
[2] On notera que l’organisation de fonds de pension n’est cependant pas considérée comme un simple placement de fonds récolté
[3] Les services de soins de santé et les maisons de repos pour personnes âgées (généralement non subsidiés), agréés par les organes compétents des Communautés, ne peuvent toutefois être assimilés aux services d’aides aux familles et aux personnes âgées du fait que leur agrément n’implique pas nécessairement l’absence de lucre.
[4] Com. I.R. 182/8.
[5] Com. I.R. 182/9.
[6] Com. I.R. 182/11.
[7] Com. I.R. 182/12.
[8] Com. I.R. 182/13.
[9] Com. I.R. 182/14.
[10] Civ Anvers, 18 mars 2015, www.fiscalnetfr.be
[11] Liège, 30 novembre 2015, Le Courrier fiscal, 2016/22
[12] Fiscologue n° 1487, 9 septembre 2015, page 12.
[13] Trib. Namur, jugement du 23 mars 2011, Courrier Fiscal 2011/11, Pag. 363 – 366
[14] Arrêt du 23 juillet 2012, disponible sur le site www.fisconet.be
[15] S. Van Crombrugge, Projet de loi réglant le passage de l’IPM à l’I.Soc., Fiscologue n° 1593 du 11 janvier 2019, p.3