A. Comprendre la mesure
L’attribution d’un immeuble aux associés d’un immeuble [1] provenant d’une société est traitée par les articles 129 et 130 du Code des droits d’enregistrement.
Ces articles font une distinction selon que l’acquisition se fait à partir d’une société de personnes (par exemple une SPRL, une SNC ou une société en commandite simple) ou d’une société de capitaux (par exemple une SA ou une société en commandite par actions).
En principe, toute attribution de l’immeuble est soumise au droit de vente (de 12,5 % ou 10 % selon les Régions).
Il y a toutefois deux exceptions.
La perception du droit de vente peut être évitée s’il s’agit :
(i) de biens immeubles qui avaient été apportés à la société par la personne qui acquiert les biens (art. 129, al. 3, 1°, C. enreg.), ou
(ii) de biens immeubles qui ont été acquis par la société avec paiement du droit de vente, pour autant qu’il soit établi que l’associé qui devient propriétaire de ces biens immeubles faisait déjà partie de la société au jour de l’acquisition par celle-ci (art. 129, al. 3, 2°, C. enreg.).
Si ces exceptions sont d’application, la loi précise que l’acquisition doit, pour la perception des droits d’enregistrement, s’analyser selon le droit commun. Donc, ou bien le droit de vente sera dû (mais de manière exceptionnelle), ou bien ce sera le droit de partage (art. 106 C. enreg.), ou encore le droit fixe général[1].
En résumé, en cas d’acquisition de l’immeuble provenant d’une société de personnes, l’acquisition, quelle que soit la façon dont elle a lieu, est en principe soumise au droit de vente (dont le taux de base est fixé à 10 % en Région flamande et à 12,5 % en Régions wallonne et bruxelloise) ; (art. 129, al. 1er, C. enreg.), sauf les deux exceptions ci-avant évoquées.
En revanche, en cas d’acquisition de l’immeuble provenant d’une société de capitaux, l’acquisition, quelle que soit la façon dont elle a lieu, est toujours soumise au droit de vente (art. 130 C. enreg.). Cette règle ne souffre aucune exception.
Précisons d’emblée que la technique qui consiste à transformer la forme juridique peu avant l’attribution de l’immeuble, et ce, en vue de bénéficier de l’application des articles 129 et 130 du Code de droit économique est un cas possible d’abus fiscal. L’article 18, § 2, du Code de droit économique rendra le montage envisagé inopérant, en raison de la violation des objectifs des articles 129 et 130 du C.I.R. 92[J].
L’administration de l’enregistrement a « affiné » sa position en 2014.
Suivant les termes d’une décision du 22 septembre 2014 (confirmée par une prise de position rendue par le SDA flamand dans le cadre d’une décision anticipée le 25 juillet 2016), en cas de cession de parts indivises d’un bien immobilier qui a été acquis en indivision par une société et un associé ou actionnaire, ce n’est pas le droit de partage prévu à l’article 109 du Code des droits d’enregistrement qui s’applique, mais bien les règles particulières prévues par l’article 129 du même Code.
Selon l’article 129, toute acquisition par un associé autrement que par un apport en société est soumise au droit de vente (10 % ou 12,5 %).
Dès lors, seuls les associés de sociétés de personnes qui récupèrent un bien immobilier à l’occasion de la liquidation de leur société pourront, dans les deux cas bien précis ci-avant évoqués (les deux exceptions), échapper à ce droit de vente.
Autrement dit, si par exemple un associé d’une société détient en indivision un immeuble avec sa société, les règles en matière de droit de partage ne lui seront plus applicables.
André Bailleux s’est brillamment exprimé à ce sujet :
« De même qu’il y a la matière et l’antimatière, il y a l’abus fiscal et l’anti-abus fiscal, c’est-à-dire l’abus fiscal commis par l’autorité administrative. Il y aurait une thèse à écrire sur l’abus fiscal commis par les autorités dans l’interprétation de la loi. Le contribuable commet un abus fiscal lorsqu’en violation des objectifs d’une disposition du Code des droits d’enregistrement, il se place en dehors du champ d’application de cette disposition (art. 18, § 2). À l’inverse, n’y a-t-il pas abus fiscal de la part de l’autorité, lorsqu’en violation des objectifs d’une disposition du Code – ici les articles 129 et 130 –, elle place le contribuable dans le champ d’application de cette disposition ? Comme le relève André Culot dans l’article précité, “il serait inéquitable que l’administration puisse selon sa volonté s’en tenir au texte de la loi ou à la volonté du législateur selon qu’elle y ait intérêt ou non”. Autrement dit, il serait inéquitable que l’administration puisse faire appel à l’abus fiscal quand c’est son intérêt mais qu’elle refuse de s’intéresser à la “réalité économique” d’une opération lorsque l’application stricte du texte légal lui est plus favorable. Certes, l’appel aux principes de bonne administration ou à certaines règles constitutionnelles permet – parfois – d’atténuer la rigueur des textes mais au terme de quelles procédures ! »[3]
Dans un arrêt du 19 juin 2018, la Cour d’appel de Gand va suivre toutefois cette circulaire de 2014 en dépit des critiques qu’elle suscite.
Dans l’affaire soumise à la cour, un actionnaire avait racheté en 2014 à sa société tous les droits indivis sur l’immeuble. L’opération avait été soumise au droit de partage, mais le fisc appliqua le droit de vente en se fondant sur la décision administrative du 22 septembre 2014.
La cour valide la position de l’administration et juge que l’article 130 du Code des droits d’enregistrement est une disposition spécifique qui s’applique à toutes les formes d’acquisition d’un immeuble situé en Belgique par un associé et donc aussi à une acquisition de la part de la société dont il est actionnaire.
Si le texte de loi mentionne « donne lieu […] au droit établi pour les ventes », cela signifie que cette disposition peut s’appliquer sans que l’on soit nécessairement dans le cadre d’une vente. Toutes les opérations de rachat sont donc assimilées à une vente, même s’il s’agit d’un partage. Le régime spécifique (la lex specialis) est applicable en ce cas[4].
À notre avis, cet arrêt est un cas manifeste d’interprétation par analogie d’une disposition légale (en l’espèce l’art. 130 C. enreg.) et est critiquable.
En 2017, le législateur wallon a encore durci cette position fédérale en modifiant dans un décret du 1er juillet 2017[5] les termes des articles 129 et 130 du Code des droits d’enregistrement[6].
Deux principales modifications sont apportées :
1. Tout d’abord, une mesure est prise pour éviter que l’article 129 ne soit contourné en faisant acquérir l’immeuble non par l’associé mais par une personne apparentée (tel le conjoint). Le décret veut empêcher qu’une personne liée à l’associe/actionnaire puisse du fait de ce lien acquérir en indivision pour une infime partie (1 %) un immeuble de la société dans laquelle l’associé/actionnaire et cette personne disposent de parts, pour ensuite obtenir la pleine propriété de l’immeuble par sortie d’indivision, et bénéficier du droit de partage de 1 %[7].
Le texte étend les acquisitions à toute personne « liée » à l’associé.
Il s’agira des « collatéraux, ascendants, descendants [de l’associé] jusqu’au deuxième degré ; du conjoint ou partenaire cohabitant légal de l’associé ; et des descendants ou ascendants jusqu’au deuxième degré du conjoint ou du cohabitant de l’associé ».
Le décret établit même une présomption de personne liée lorsqu’une société attribuera un immeuble : l’acquéreur est réputé être son associé ou une personne liée. À charge pour les parties d’apporter la preuve contraire si elles veulent échapper au droit de vente.
2. Une autre modification, et non des moindres, concerne les exceptions au droit de vente. Il n’y aura pas de droit de partage lorsque la société entreprend des travaux importants dans l’immeuble qui est restitué aux associés.
Plus question d’espérer récupérer l’immeuble avec un tarif préférentiel sur les constructions érigées par la société. Dès lors, le droit de vente de 12,5 % sera dû lorsque :
(i) un immeuble bâti ou non bâti a jadis été apporté dans la société ou a été acquis par la société sous le régime des droits d’enregistrement ;
(ii) des travaux (d’aménagement, de transformation, de construction ou de reconstruction) « nécessitant un permis d’urbanisme ont été réalisés sur cet immeuble au cours de l’existence de la société » ; et
(iii) l’immeuble est acquis par un « associé qui faisait partie de la société au jour de l’apport ou de l’acquisition de celui-ci par la société ».
Dans ce cas de figure, l’exception au droit de vente ne jouera pas et le droit de vente sera appliqué sur valeur totale de l’immeuble, sous déduction toutefois du droit d’enregistrement perçu lors de l’entrée de l’immeuble dans le patrimoine de la société (nouvel art. 129, al. 4, C. enreg.).
Il est normal que le droit d’enregistrement perçu à l’entrée du bien dans le patrimoine social puisse être déduit.
Selon le texte du décret, ce droit de 12,5 % s’appliquera en pratique sur « le différentiel entre la valeur d’acquisition du terrain ou de l’immeuble dans son état initial et la valeur finale du bien ».
Le législateur wallon précise que « de cette façon, [le droit] est appliqué […] uniquement sur la plus-value et non sur la valeur totale de l’immeuble »[8].
Par valeur finale du bien, il sera pris en compte aussi l’éventuelle plus-value dégagée à la suite de la hausse de la valeur de l’immeuble. Le contribuable est de ce fait doublement pénalisé. Cette règle est contestable. Diverses conditions de forme sont en outre instaurées lorsqu’une société est en indivision sur l’immeuble avec un associé, un actionnaire ou une personne liée et que le droit de partage est susceptible de s’appliquer aux conditions de l’article 109 du Code des droits d’enregistrement.
Pour échapper à la perception du droit de vente, les parties devront déclarer, dans ou au pied de la convention qui donne lieu à la perception du droit d’enregistrement proportionnel ou dans un écrit signé joint à cette convention, que des travaux visés à l’alinéa 4 n’ont pas été réalisés sur cet immeuble par la société (art. 129, al. 5, C. enreg.).
En outre, le droit de vente sera perçu sur l’acquisition si les parties n’indiquent pas, dans une déclaration certifiée et signée dans ou au pied de la convention qui donne lieu à la perception du droit d’enregistrement proportionnel ou dans un écrit signé joint à cette convention, que l’acquéreur n’est ni associé, ni une personne liée au sens de l’alinéa 6 (art. 129, al. 7, C. enreg.).
En l’absence des déclarations visées aux alinéas 5 et 7, la convention est enregistrée au droit de vente ; ce qui est perçu au-delà du droit qui aurait dû être appliqué si de telles déclarations avaient été reprises est restituable sur la base d’une déclaration de l’acquéreur reprenant la mention prévue à ces alinéas (art. 129, al. 8, C. enreg.).
LE CONSEIL DE L’AUTEUR
La décision du 22 septembre 2014 doit être contrecarrée.
Dans une chronique que nous avons publiée pour l’Institut des Experts-Comptables en 2015 nous avions contesté fermement cette décision.
Nous la reproduisons intégralement :
« Alors que diverses mesures fiscales récentes sont prises pour permettre aux sociétés en liquidation de distribuer leurs réserves au taux réduit de 10 % (ce dont on ne peut que se réjouir), l’administration centrale de l’enregistrement choisit, dans le même temps, de pénaliser ces mêmes sociétés et leurs actionnaires en publiant une circulaire fort contestable (Décision du 22 septembre 2014 no E.E./106.218).
L’impression déplaisante qui se dégage de ces attitudes contradictoires est que l’administration fiscale veut reprendre d’une main ce qu’elle a donné de l’autre.
Un sentiment amer d’une victoire à la Pyrrhus pour nombre de sociétés et leurs conseillers !
Suivant les termes de cette décision de l’administration centrale de l’enregistrement, en cas de cession de parts indivises d’un bien immobilier qui a été acquis en indivision par une société et un associé ou actionnaire, ce n’est plus l’article 109 du Code des droits d’enregistrement qui s’applique, mais bien les règles particulières prévues par les articles 129 et 130 du même Code.
Selon l’article 129, toute acquisition par un associé autrement que par un apport en société est soumise au droit de vente (10 ou 12,5 %).
Seuls les associés de sociétés de personnes qui récupèrent un bien immobilier à l’occasion de la liquidation de leur société pourront, s’ils satisfont aux conditions spécifiques des articles 129 et 130 du Code, échapper à ce droit de vente.
Autrement dit, si par exemple un associé d’une société anonyme détient en indivision un immeuble avec sa société, les règles en matière de droit de partage ne lui seront plus applicables.
L’administration justifie ce revirement de la position anciennement tenue jusqu’à cette circulaire par divers arguments qui sont tous difficilement acceptables.
Premier argument : il faut interpréter littéralement le texte de l’article 129 du Code des droits d’enregistrement. Cet argument ne tient pas, car si l’on se tient à une interprétation purement textuelle, il n’est inscrit nulle part dans les articles 129 ou 130 que cette disposition s’applique “à l’exclusion de l’article 109”.
Deuxième argument : “lex specialis derogat lex generalis” (les lois particulières dérogent aux lois générales). Outre le fait qu’un tel principe n’est absolument pas conforté par la Cour de cassation, les articles 129 et 130 n’effacent nullement les règles inscrites à l’article 109. L’article 109 est repris à la section 10 du Code qui vise les partages, alors que les articles 129 et 130 sont des règles spécifiques aux sociétés civiles et commerciales. Ce sont donc des sections différentes visant des opérations différentes.
Troisième argument : les articles 129 et 130 sont des mesures “anti-fraude”. Comme le souligne avec pertinence le notaire Éric Spruyt, l’examen des travaux préparatoires de la loi qui a introduit ces dispositions ne visaient absolument pas le cas d’une indivision créée entre un associé d’une SA avec sa société, et dont il entend sortir après plusieurs années, mais plutôt le cas d’une création artificielle de sociétés de personnes en vue d’échapper aux droits de vente de 10 ou 12,5 %[9].
Faut-il enfin rappeler qu’une circulaire n’est
pas la loi ? »
[1] Un exemple de droit de partage est illustré par le SDA flamand dans une décision no 16031 du 25 juillet 2016. Il s’agissait ici d’un associé acquérant des immeubles lors de la liquidation de sa SPRLU, alors qu’il était déjà associé lorsque l’immeuble fut acquis avec paiement du droit de vente par la société (seconde exception visée par le texte). Selon le SDA flamand, l’acquisition sera par conséquent imposée selon sa nature en droit commun. Étant donné que l’acquisition par un associé unique d’une SPRLU – qui n’était pas en indivision avec la société – ne peut pas être assimilée à une vente ni à un partage, aucun impôt d’enregistrement flamand n’est dû sur l’acquisition (no 13 de la décision) (ce qui signifie que le droit fixe général fédéral est d’application et non le droit de partage).
[2] Si la motivation à l’origine de cette transformation de la forme juridique de SA en SPRL peut se justifier par des motifs légitimes autres que fiscaux (telles une volonté de fermer l’actionnariat ou une transmission successorale rendue plus aisée) et que la liquidation de la SPRL n’est pas réalisée dans la foulée, la mesure générale anti-abus ne devrait pas être applicable.
[3] A. Bailleux, « Cession de parts indivises : à propos des articles 129 et 130 du Code des droits d’enregistrement », édito publié sur le site de Wolters Kluwer le 4 mai 2015.
[4] Gand, 19 juin 2018, Fiscologue, no 1573, 6 juillet 2018, p. 12.
[5] Décret du 1er juillet 2017portant assentiment à l’accord de coopération du 20 février 2017 entre l’État fédéral, la Région de Bruxelles-Capitale et la Région wallonne relatif à la gestion du service pour la régularisation des impôts régionaux et des capitaux fiscalement prescrits non scindés et à la mise en place d’un système de régularisation des capitaux fiscalement prescrits non scindés, instaurant un régime de régularisation fiscale limité dans le temps et instaurant des mesures concernant le transfert de la propriété d’un immeuble d’une société à un associé, la renonciation à l’usufruit sur un bien immeuble suivie ou précédée par une donation, les clauses d’attribution de la totalité du patrimoine commun ou clauses de partage inégal de ce patrimoine commun, sans condition de survie, mieux connues sous les termes de « clause de la (maison) mortuaire » et la révision du montant des amendes.
[6] Marc Petit se demande aussi si le législateur régional (ici wallon) est bien compétent pour modifier les articles 129 et 130 et en appelle à la Cour constitutionnelle pour qu’elle tranche cette question (M. Petit, « Nouvelles mesures anti-abus wallonnes et bruxelloises », op. cit.).
[7] Doc.,Parl. w., sess. ord. 2016-2017, no 786/1, p. 9.
[8] Rapport, Doc.,Parl. w., sess. ord. 2016-2017, no 786/003, p. 5.
[9] Voir à ce propos l’analyse de l’auteur dans Nieuwsbrief Notariaat, 2015, no 9, semaines 24 et 25.
[Jaja1]Cet énoncé est-il correct ?
[Jaja2]Code des droits d’enregistrement ?