Dès ce 1er juillet, les intermédiaires devront renseigner aux autorités compétentes les «dispositifs transfrontières potentiellement agressifs sur le plan fiscal» qu’ils ont eux-mêmes initiés ou, dans certains cas, dans lesquels ils sont intervenus. Cette nouveauté trouve son origine dans une Directive européenne relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal (DAC 6)[1].
Se pose la question de savoir si une assurance-vie luxembourgeoise souscrite par un résident belge sur la tête d’un résident belge au profit d’un résident belge constitue un «dispositif transfrontière potentiellement agressif sur le plan fiscal» devant faire l’objet de ce nouveau reporting. Pour répondre à cette question, il convient d’analyser les notions de «dispositif», «transfrontière» et de «potentiellement agressif sur le plan fiscal». La difficulté est que ces notions soulèvent de nombreuses interrogations.
- Dispositif
Le terme «dispositif» n’est défini ni dans la DAC 6 ni dans la loi belge transposant cette directive.
En s’abstenant de définir cette notion, les législateurs belges et européens ont expressément favorisé une interprétation large de celle-ci[2].
Sur cette base, rien ne semble exclure que la souscription d’une police d’assurance-vie ainsi que toutes les étapes consécutives (rachat, versement de primes complémentaires et toutes éventuelles restructurations de la police) puissent constituer un dispositif[3].
- Transfrontière
Le caractère transfrontalier du dispositif se détermine par rapport à ses «participants». Or, la notion de «participant» n’est définie ni dans la DAC 6 ni dans la loi belge transposant cette directive[4] .Compte tenu de cette absence de définition, il n’est pas toujours aisé de distinguer les «participants» des «intermédiaires».
Conception de l’OCDE
Selon l’OCDE, les « participants au dispositif »[5] sont :
- toutes les personnes qui y sont parties ou qui sont touchées par celui-ci
- toutes les personnes qui prennent part à un dispositif, même si elles ne sont pas directement associées ou touchées par les conséquences fiscales du dispositif.
Selon cette conception, le recours à une assurance-vie luxembourgeoise par un résident belge pourrait constituer un dispositif transfrontalier.
Droit comparé: droit français – droit luxembourgeois
Cette interprétation trouve écho en droit comparé.
Ainsi, l’administration fiscale française vient de donner certains exemples de «dispositifs transfrontières potentiellement agressifs sur le plan fiscal»[6]. Selon elle, tel est notamment le cas «lorsqu’un contribuable place des actifs de source française (sous) un contrat d’assurance-vie souscrit dans un Etat B., ayant pour conséquences d’exonérer d’impôt sur le revenu des gains afférents aux placements financiers réalisée dans ce cadre».
Quant à l’Association des Compagnies d’Assurances et de réassurances du Grand-Duché du Luxembourg (ACA), elle vient de préciser [7], qu’ «un contrat d’assurance-vie transfrontière n’est pas déclarable de manière systématique. En effet, ce dispositif transfrontière devra être analysé au cas par cas sur la base des faits et circonstances afin d’établir ou non l’obligation de déclaration». Cette précision permet de soutenir que l’assurance-vie luxembourgeoise souscrite par un résident belge constituerait un dispositif transfrontière au sens de la DAC 6.
Loi belge du 20 décembre 2019
Il ressort des travaux préparatoires à la loi transposant la DAC 6 en droit interne belge :
- que «la branche 23 n’est pas un participant en soi»[8]
Cette conception fait fi de la compagnie d’assurance[9].
En effet, s’il est évident que la police d’assurance-vie ne constitue pas un «participant» en tant que tel, pourquoi la compagnie d’assurance ne pourrait-elle pas en constituer un ?[10] Les travaux préparatoires semblent avoir omis de traiter cette question[11].
- que «lorsqu’un intermédiaire n’est pas actif dans le dispositif (…), il n’est pas participant»[12]
Pour apprécier si un dispositif est transfrontière, il conviendrait ainsi d’examiner si l’intermédiaire étranger joue un rôle actif ou non dans le dispositif.
Force est de constater que la plupart des compagnies d’assurance ne se limitent pas à proposer des polices mais offrent également à leurs clients un véritable service d’estate planing[13]. Elles accompagnent leurs clients dans l’élaboration de leur planification patrimoniale et dans l’implémentation concrète de celle-ci. En ce faisant, les compagnies d’assurance jouent un rôle actif dans le dispositif et deviennent ainsi des «participants».
Il convient de noter qu’en matière d’assurance-vie, l’interprétation de la notion de «dispositifs transfrontières» développée dans les travaux préparatoires belges[14] est contradictoire avec la conception française et luxembourgeoise ainsi qu’avec la vision de l’OCDE.
Cette spécificité belge pourrait ne pas être euro-compatible[15].
A ce stade, il ne peut être exclu que les autorités fiscales et judiciaires belges s’écartent de cette spécificité belge. En effet, une interprétation différente de la Directive par les Etats membres entrainerait certaines difficultés. Comment respecter son obligation déclarative si l’assurance-vie luxembourgeoise souscrite par un résident belge n’est pas considérée par les autorités belges comme un «dispositif transfrontière» déclarable alors qu’elle l’est par les autorités luxembourgeoises ?
- Potentiellement agressif sur le plan fiscal
Si la notion de «dispositif transfrontière» est très large, seuls les «dispositifs transfrontières potentiellement agressifs» sur le plan fiscal doivent faire l’objet d’un reporting.
A nouveau, la notion de «potentiellement agressif sur le plan fiscal» n’est définie ni dans la DAC 6 ni dans la loi belge. Cette notion s’apprécie au regard de cinq catégories de marqueurs.
Le recours à une assurance-vie luxembourgeoise par un résident belge est susceptible de rencontrer certains de ces marqueurs (marqueurs spécifiques liés au critère de l’avantage fiscal principal ; marqueurs relatifs à l’utilisation de documents standardisés ; etc.). Une analyse au cas par cas est requise.
L’administration devrait prochainement commenter ces marqueurs.
Malgré l’interprétation minimaliste de la notion de «dispositif transfrontière» développée indirectement dans le cadre des travaux préparatoires belges, il semble prudent, à ce stade, de considérer que le recours à une assurance-vie luxembourgeoise par un résident belge puisse, dans certains cas et sous certaines conditions, constituer un «dispositif transfrontière à caractère potentiellement agressif» au sens de la DAC 6.
Dans ce cas, les intermédiaires (tels que les compagnies d’assurances et les courtiers[16]) devront organiser le reporting requis auprès des autorités compétentes. A défaut, ils seront redevables d’amendes administratives susceptibles d’atteindre jusqu’à 100.000 € par infraction[17] et ce, sous réserve de certaines exceptions. Cette obligation déclarative couvre, dans certains cas et moyennant certaines conditions, tant les assurances-vie souscrites à partir du 25 juin 2018 que certaines opérations réalisées à partir de cette date sur une assurance-vie antérieure. Cela imposera un important audit aux compagnies, courtiers, conseillers et autres intermédiaires. Le premier reporting devrait intervenir au plus tôt dans les 30 jours de l’entrée en vigueur des obligations de déclaration (soit, le 1 juillet 2020)[18]. Vu la crise sanitaire, la Commission européenne proposait de faire débuter ce délai au 1er octobre 2020[19]. Les Etats membres ont finalement
[1] Directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, J.O.U.E., L. 139, 5 juin 2018.
[2] Projet de loi transposant la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, Doc., 2019-2020, n° 791/1, p. 7 ; Considérant n°2 de la Directive
[3] M. Bentley et R. Tiffon, « La Directive sur les intermédiaires fiscaux : de nouvelles obligations déclaratives pour les assurances-vie luxembourgeoises », Revue International du Patrimoine, n°1, Legitech, p. 83
[4] P. Deré, D. Verbeurgt et D. Roose, « De invoering van de DAC 6-richtlijn in België. Revolutie of een storm in een glas water? », A.F.T., 2020/3, p. 36.
[5] OCDE (2016), « Règles de communication obligatoire d’informations, Action 12 – Rapport final 2015 », Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Paris, Editions OCDE, 2016, point 242, https://doi.org/10.1787/9789264252417-fr.
[6] Bulletin officiel des finances publiques-impôts, CF, CPF, Titre 3, Chapitre 4, Section 3, Sous-section 1, n° 180, http://bofip.impots.gouv.fr.
[7] FAQ relative à la DAC 6 éditée par l’Association des Compagnies d’Assurances et de réassurances du Grand-Duché du Luxembourg le 13 mai 2020 : https://www.aca.lu/media/5ecbc57dd85c1_aca-faqs-140520.pdf
[8] Projet de loi transposant la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, Doc., 2019-2020, n° 791/1, p. 8.
[9] J. Malherbe, « La déclaration obligatoire des dispositifs transfrontières – Directive DAC 6 du 25 mai 2018 et loi du 20 décembre 2019 », R.G.C.F., 2020/1-2, p. 31.
[10] D-E. Philippe, « Déclaration obligatoire des constructions transfrontalières (DAC 6) : Directive transposée », www.forumforthefuture.be, 4 mars 2020 ; L. Vanneste, « Meldingsplicht fiscale constructies : ook sommige werknemers in het vizier », Fiscoloog, ed. 1637, 18 décembre 2019, p. 1sq.
[11] Projet de loi transposant la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, Doc., 2019-2020, n° 791/1, p. 8.
[12] Projet de loi transposant la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, Doc., 2019-2020, n° 791/1, p. 8.
[13] D-E. Philippe, « Les banquiers devront-ils déclarer au fisc les montages fiscaux de leurs clients », Sem. Fisc., 2019/88, p. 1.
[14] Projet de loi transposant la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, Doc., 2019-2020, n° 791/1,
[15] La Directive précise que l’intermédiaire passif peut démontrer « qu’il ne savait pas et ne pouvait pas raisonnablement être censé savoir qu’il participait à un dispositif transfrontière » (soulignement ajouté). Il ressort de cette précision que même un intermédiaire qui ne joue pas un rôle actif dans le dispositif pourrait participer à celui-ci.
[16] P. Deré, D. Verbeurgt et D. Roose, op. cit., p. 41.
[17] Art. 445, § 4, CIR92 ; Arrêté royal du 20 mai 2020 d’exécution des articles 18, 31, 33 et 47 de la loi du 20 décembre 2019 transposant la Directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la Directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration, M.B., 4 juin 2020.
[18] Art. 326/8, §2, CIR92
[19] Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2011/16/UE afin de répondre au besoin urgent de reporter certains délais pour la déclaration et l’échange d’informations dans le domaine de la fiscalité en raison de la pandémie de COVID-19, 2020/0081, 8 mai 2020, www.ec.europa.eu.